Avis :
Aussi légitime et indispensable que puisse apparaître la mise aux normes réglementaire de l’aéroport de Lille Lesquin, parmi lesquelles le renforcement des mesures de sécurité, point absolument essentiel et combien d’actualité, l’augmentation des capacités liée à des hypothèses de trafic revues à la hausse, s’inscrit pour sa part dans une tendance lourde constatée au niveau mondial malgré ses conséquences désastreuses sur le climat. C’est donc aussi sous cet aspect devenu incontournable, qu’il convient d’examiner la question de ce développement indissociable de la concertation proposée. S’en affranchir, ne pourrait mener qu’à une vision partielle et erronée.
Il faut ainsi savoir qu’en France, les émissions de gaz à effet de serre du secteur aérien ont progressé de 71% entre 1990 et 2018. Si rien n’est fait, elles tripleront d’ici 2050 en dépit de l’augmentation de l’emport moyen et des améliorations techniques apportées aux avions. L’empreinte carbone de l’avion est nettement supérieure à celle généralement annoncée en raison des phénomènes induits en haute altitude : émission d’oxyde d’azote, de sulfate et de suie, traînées de condensation et de cirrus au fort pouvoir réchauffant qui agissent donc comme phénomènes aggravants. Continuer dans ce sens mènera inévitablement à des lendemains très difficiles. On peut déjà prévoir sous nos latitudes des pointes de températures à 50 degrés d’ici une dizaine d’années, de même qu’aux alentours de 2100, 75% de la population mondiale sera exposée à des pointes de chaleur mortelles. Tel sera sans doute le prix à payer pour pouvoir continuer d’utiliser inconsidérément l’avion. C’est bien là un choix de société, reflet d’un consumérisme destructeur aussi funeste soit-il.
Cette évolution ignore complètement les accords de Paris signés et ratifiés par la France, accords, dont l’objectif, est de contenir l’élévation de la température de la planète. Il est donc clair, que l’intégralité des efforts nécessaires pour aligner la France sur la trajectoire de la neutralité carbone, serait annihilée par le secteur aérien s’il devait continuer à croître. C’est donc bien en toute logique, vers une très nette diminution du trafic aérien au niveau mondial qu’il faut s’orienter, d’autant que les activités directement impliquées dans la dégradation du climat, deviendront, quoi que l’on en dise, un fardeau de plus en plus lourd pour l’économie générale.
Supprimer dès à présent les vols courts courriers à moins de 5 heures en train, réduirait de 60,6% les émissions de co2 issues des vols métropolitains. Certes, selon les indications données dans la rubrique question réponse du dossier de concertation (LE TRAIN UNE ALTERNATIVE A L’AVION), « la stratégie de développement retenue n’est pas de desservir les destinations situées à moins de quatre heures de train ». Cependant, les objectifs du projet affichent leur intérêt pour la liaison Lille-Bordeaux sur laquelle « le TGV n’autorise pas ou difficilement un aller-retour professionnel dans la journée ». C’est exact, et les horaires du train pourraient sans doute être plus performants. Mais ne faut- il pas s’interroger sur la pertinence d’un tel trajet en avion (40 fois plus émetteur de gaz à effet de serre que le TGV) *, alors que les entreprises recourent de plus en plus à la visioconférence et tout autre moyen de télécommunication ?
Finalement, l’avion ne doit sa croissance exponentielle qu’en raison de prix artificiellement bas, qui n’intègrent aucunement ses coûts environnementaux laissés à charge de la collectivité. C’est aussi l’absence de taxes sur le kérosène, véritable subvention à la pollution et source de distorsion de concurrence avec le rail.
La première façon de modérer l’usage du transport aérien et par conséquent les capacités des aéroports, est de replacer l’avion dans son créneau de pertinence technique qui est celui de la très longue distance, et de lui faire assumer financièrement son impact environnemental qu’il s’agit de répercuter dans le prix du billet, c’est ce que l’on appelle la vérité des prix. Cela passe par :
– L’application de la TVA au taux de 20 % sur tous les billets d’avions.
– Une taxe sur le kérosène dont il est injustement exonéré, même si cette taxe n’a de sens qu’au niveau Européen, c’est là un préalable en souhaitant toutefois son extension au niveau mondial. Selon un sondage publié le 7 juin dernier, plus de la moitié des Français soutiennent cette taxation.
– Une taxe spécifique (contribution climat) sur le prix du billet déjà appliquée par certains pays.
On peut aussi imaginer une majoration tarifaire pour les parcours aériens inférieurs à 1 500 Km qui saturent les aéroports, et servent souvent d’alibi pour en augmenter les capacités. Dans un même temps, l’alternative ferroviaire particulièrement adaptée aux dimensions Européennes devra être développée : Lignes à grande vitesse, réhabilitation du train de nuit, adaptation de TGV de nuit permettant d’accomplir de plus longues distances. Enfin, la tarification de chaque mode devra aussi tenir compte de son bilan carbone.
Aligner le trafic aérien sur l’accord de Paris passera inévitablement par une remise en cause clairement affichée de son développement et de l’usage massif de l’avion, tant on ne peut préparer le futur en extrapolant les tendances d’un passé révolu. Le projet d’augmentation des capacités de l’aéroport de Lesquin et les projections de trafic revues à la hausse, ne sauraient donc s’affranchir d’un tel contexte.
*1 Les émissions de gaz à effet de serre en g passager Km ont été précisées par l’ADEME pour un trajet national :
TGV 3,5 g
Trains Inter cités 10 g
Autocar 20 g
Voiture 85 g
Avion 145 g
Le développement exponentiel du trafic aérien tiré par des prix artificiellement bas qui ne répercutent pas le coût environnemental de l’avion, met en péril les équilibres climatiques et contredit les différents engagements internationaux pris en faveur d’une réduction des émissions de gaz à effet de serre. Dès lors, comment se fait il que les responsables de l’aéroport relèguent cette question à un débat sociétal hors de la concertation, alors que l’augmentation des capacités de l’aéroport est directement lié à cette évolution ?
Réponse :
Bonjour,
La régulation économique des activités aériennes et la taxation du vrai coût d’usage des infrastructures sont des questions sociétales légitimes, mais qui dépassent le contour du projet soumis à la concertation.
Notre projet vise à moderniser les infrastructures de l’aéroport afin d’offrir les meilleures conditions d’accueil possibles aux passagers, et d’adapter l’aéroport aux normes de sécurité et de sûreté. Le projet de modernisation de l’aéroport comprend ainsi des opérations de réglementation qui doivent avoir lieu avant 2025. Le projet prévoit par ailleurs une augmentation modérée du trafic aérien, de +17% sur 20 ans. De 21 139 vols commerciaux effectués en 2019, nous passerons ainsi à 24 729 vols commerciaux en 2039.
Notre développement répond également à une demande accrue de la part des habitants de la métropole et de la région, qui doivent pour la plupart se déplacer dans les aéroports voisins pour voyager. Le projet permettra ainsi d’assurer un service public de transport de qualité.
Une partie du projet repose ainsi sur la croissance naturelle anticipée du trafic aérien, et s’adaptera à la croissance réelle du trafic. Par exemple, la création de nouvelles salles d’embarquements au niveau du terminal dépendra du flux de passagers. Le permis de construire sera délivré suivant l’avis de l’Autorité environnementale.
De plus, le projet s’envisage à l’échelle de 20 ans. Les considérations environnementales modifieront, à terme, les comportements de certains voyageurs, notamment ceux qui utilisent l’avion par facilité sans prendre en compte les conséquences environnementales. Néanmoins, sur une échelle de 20 ans, le transport aérien va continuer de croitre.
Plus globalement, l’industrie du transport aérien partage pleinement les objectifs de lutte contre le réchauffement climatique, et est engagée dans des mesures fortes pour réduire ses émissions, notamment :
- amélioration de l’efficacité énergétique des avions
- développement du bio-carburant
- recherches sur l’avion à hydrogène (objectif de mise en service en 2035 pour Airbus)
- optimisation des procédures de navigation aérienne
- modification des procédures de roulage au sol
- compensation des émissions liées au trafic intérieur par plusieurs compagnies (AF, easyJet, notamment)
Le débat sur le transport aérien et sa compatibilité avec la stratégie carbone de la France dépasse largement le cadre du projet. Pour autant, le projet de modernisation de l’aéroport doit s’inscrire dans les objectifs des différents documents cadre :
- à l’échelle internationale : OACI
- à l’échelle nationale : la SNBC fixant la neutralité carbone à 2050 (incluant les vols intérieurs)
- à l’échelle locale : le SRADDET fixe les objectifs de développement du territoire de la région à moyen et long terme et les règles générales pour contribuer à l’atteinte de ces objectifs